Corinne Azan

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Les distorsions cognitives

« You feel the way you think».
David Burns (1942), Psychiatre américain

Une distorsion cognitive en quelques mots …

« Je n’ai jamais de chance en amour ! Personne ne m’aime et ne m’aimera jamais. » « De toute façon, je rate tout ce que je fais, un vrai serial looser ! ». Ces petites phrases sont des exemples de distorsions cognitives.

Une distorsion cognitive est une façon un peu systématique de penser, de considérer la réalité, en général de façon négative, et sans tenir compte de faits objectifs. Un déséquilibre s’installe entre notre façon de penser et d’interpréter, et la réalité de la situation. Cette tendance alimente des pensées et des croyances négatives sur la vie, sur soi, sur les autres.
Ce concept a été élaboré par le psychiatre américain Aaron T.Beck en 1967. Les travaux du psychologue David Burns en 1980 vont compléter cette approche en identifiant de nouvelles distorsions cognitives. Les Thérapies Cognitivo-Comportementales (TCC) permettent d’identifier ces distorsions pour mieux les contrer. Ces distorsions cognitives, en général négatives, créent un état émotionnel négatif, pouvant conduire jusqu’à un état dépressif.
Sans passer nécessairement par une thérapie, il est bon de connaître ce concept et d’identifier pour soi et pour les autres, quelles sont les distorsions cognitives les plus présentes pour les combattre et revenir à une perception plus juste de la réalité.

Les différentes distorsions cognitives

Dix principales distorsions sont identifiées avec quelques variantes :
  • La pensée dichotomique ou « tout ou rien » : c’est un extrême ou un autre, aucune place n’est faite pour la nuance. Exemple de phrases : « c’est génial ou tout pourri ».
  • La sur-généralisation : généraliser une tendance sur la base de quelques observations sans tenir compte de réalités objectives ou chiffrées. Un échec dans un domaine est perçu par exemple comme un échec dans tous les domaines. Exemples de phrases ou de mots : toujours ou jamais, personne ou tout le monde.
  • Le filtre mental ou l’abstraction sélective : traiter l’information en ne retenant qu’une petite partie de celle-ci.
  • La disqualification du positif consiste à considérer une expérience positive comme une expérience neutre ou négative.
  • Les conclusions hâtives avec deux variantes possibles : lectures de pensées (Mind Reading) qui consiste à interpréter le comportement des autres à l’aune de notre propre fonctionnement, et les erreurs de voyance qui consistent à formuler des prédictions pessimistes et penser qu’elles sont vraies.
  • L’exagération, la dramatisation ou la minimalisation : en général exagérer les aspects négatifs pour soi et minimiser les aspects positifs pour soi mais cela peut être aussi dans un autre sens (exagérer les défauts des autres, et minimiser leurs qualités).
  • Le raisonnement émotionnel consiste à considérer nos émotions comme une source fiable de preuves sans tenir compte de la réalité ou de faits venant contredire ces émotions.
  • Les fausses obligations ou « musturbation » se résument à une longue liste d’objectifs à atteindre sans enjeu majeur.
  • L’étiquetage peut se résumer à des jugements définitifs sur soi et sur les autres. Exemple de phrases : « Tous des incapables dans cette entreprise ! », « J’ai un sens de l’orientation absolument catastrophique, c’est sans espoir ! ».
  • La personnalisation consiste à considérer que ce qui arrive, surtout lorsque le résultat est négatif, est de notre fait. Exemple de phrase : « Je suis arrivé avec deux minutes de retard à notre réunion d’équipe et par ma faute, la présentation entière de l’équipe a été gâchée ».

Mise en situation de distorsions cognitives

Le concept de distorsions cognitives est à la fois très simple et puissant, en particulier lorsqu’il est mis en perspective avec d’autres outils comme les messages contraignants ou drivers. (Voir mon article précédent sur « Les messages contraignants ou drivers. » ) Ces distorsions cognitives sont également très présentes chez les personnes qui manquent d’estime de soi ou qui traversent un état dépressif.
Pour illustrer ces propos, prenons deux situations différentes.

Situation 1 avec Jeanne : « Tant que je n’ai pas complètement terminé le ménage dans les moindres détails, bouclé ma présentation d’après-demain pour le boulot, raconté l’histoire du soir aux enfants, pris un rendez-vous chez le dentiste, je ne me détendrai pas. Je dois absolument terminer toutes ces tâches d’ici ce soir avant de me coucher. Il faut que tout soit complètement organisé et bien réalisé ».

Dans cette situation, il est possible de constater que Jeanne s’impose une longue liste d’« obligations » (« musturbation ») qui sans doute ne sont pas toutes réalistes à faire dans un délai court. Les mots comme « il faut », « je dois absolument » ajoutent un sentiment de pression et d’urgence qui pourrait être évité. En filigrane, Jeanne répond à son message contraignant « Sois parfaite » en essayant d’être la plus complète possible dans tous les domaines de sa vie, en même temps. Elle ne s’autorise le repos qu’une fois l’ensemble des tâches réalisées, créant ainsi une condition artificielle à son repos.

Situation 2 avec Claire : « J’ai hésité 5 minutes au moment des questions-réponses de ma présentation d’une durée de 2H30. J’ai vraiment été nulle et toute la présentation a été gâchée à cause de ces 5 minutes. Même si j’ai reçu des commentaires positifs, ce n’était pas parfait et pourtant c’était très préparé. Les autres savent mieux faire, c’est comme ça ! Mon collègue direct est toujours au top en toutes circonstances mais moi, je ne suis jamais à la hauteur. J’ai même vu deux personnes regarder leur téléphone au cours de ma présentation. J’ai dû les ennuyer … ».

Dans ce discours intérieur négatif de Claire, plusieurs distorsions cognitives s’expriment :

  • Pensée dichotomique ou tout ou rien : 5 minutes d’hésitation dans une présentation d’une durée de 2H30 avec des retours positifs produisent une conclusion sans nuance « J’ai vraiment été nulle ». Cette conclusion est émotionnelle et non rationnelle, car elle ne retient pas la juste proportion du positif versus le moins positif.
  • Sur-généralisation : « moi » versus « les autres » qui savent mieux faire, « toujours » positif pour les autres, « jamais » à la hauteur pour moi …
  • Disqualification du positif et exagération du négatif : les compliments ne sont pas entendus par Claire qui va focaliser son attention sur ces « 5 minutes » d’hésitation. Claire exagère la part du négatif pourtant très minime dans cette présentation de 2h30. Claire met en avant les « succès » des collègues bien plus que les compliments qu’elle reçoit pour elle-même.
  • Les conclusions hâtives avec la lecture de pensée : Claire imagine qu’elle ennuie ses interlocuteurs parce que deux personnes ont regardé leur téléphone mais rien n’indique que c’est lié. Ces personnes ont peut-être des problèmes personnels, doivent s’absenter pour assister à une autre réunion sur le point de démarrer. Et peut-être s’ennuient-elles vraiment … Il n’y a aucune preuve de ce qui se passe dans la tête de ces personnes.
  • L’étiquetage : Claire se considère comme nulle et son collègue direct comme très compétent. Dans son esprit, c’est un fait acté et quasi définitif (« Les autres savent mieux faire, c’est comme ça ! »).
  • Claire souffre probablement d’un manque d’estime de soi pour cumuler toutes ces distorsions. Le message contraignant « Sois parfaite » s’exprime également très fortement dans cette situation car Claire ne s’accorde aucune tolérance pour une simple hésitation.

Quelle attitude privilégier face à ces distorsions cognitives ?

Après la prise de conscience de ces distorsions, il est nécessaire de revenir aux faits et aux raisonnements en se posant les questions suivantes :
  • Quelles sont les preuves qui me permettent de parvenir à cette conclusion ?
  • Est-ce que j’ai assez d’informations pour en faire une loi (cas de la sur-généralisation par exemple) ?
  • Est-ce que j’ai raison de croire cela ou que serait-il plus juste de croire ?
  • Comment puis-je voir les choses différemment ?

Pour son équilibre personnel et pour la qualité de nos relations avec les autres, il est très important d’identifier nos distorsions cognitives. En effet, ces distorsions nous conduisent à des erreurs de raisonnement, à des pensées et des émotions souvent négatives qui vont à leur tour nourrir des faux raisonnements.

Pour briser la boucle de ces faux raisonnements, prise de conscience et questionnement sont donc nécessaires mais pas toujours suffisants. Parfois, un accompagnement avec un thérapeute ou un coach pour aller plus loin dans le travail d’analyse s’avère utile.

« La croyance forte ne prouve que sa force, et non la vérité de ce qu’on croit ».
Friedrich Nietzsche (1844-1900) – Philosophe allemand
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